« Ma thèse en quelques lignes » : entretien avec Anziz Ahmed Abdou, étudiant comorien

Date de mise à jour : 27 mars 2023

Cette semaine, la PRéRAD-OI s’entretient avec Anziz Ahmed Abdou, étudiant comorien à L’Université de La Réunion, encadré pour sa thèse par le Cirad à La Réunion et l’Université de La Réunion (UMR PVBMT). Une occasion pour Anziz de revenir sur son parcours et de nous présenter son travail de doctorat en cours qu’il conduit dans le cadre du réseau PRPV (Pôle régional de protection des végétaux) et du projet de coopération scientifique régionale EPIBIO …travail qui porte sur les espèces exotiques envahissantes dans l’archipel des Comores, leur dynamique et leur prévalence dans des écosystèmes dégradés de l’archipel…

Le sud-ouest de l’océan Indien est reconnu pour la richesse de sa biodiversité. Avec 12 000 espèces endémiques, elle représente un hot-spot de la biodiversité mondiale. Parmi les risques qui menacent celle-ci, les espèces exotiques envahissantes…Leurs invasions sont favorisées par l’anthropisation des milieux naturels ou semi-naturels, liée aux activités humaines…

Depuis une décennie, la mobilisation sur ce sujet dans la zone est grande, les défis à relever immenses.

A La Réunion, le POLI pour Plan Opérationnel de Lutte contre les espèces Invasives, est déployé à La Réunion dès 2010 afin de mettre en œuvre des mesures et des actions concrètes afin de protéger les milieux naturels de l’île contre les espèces invasives. Il concerne tous les acteurs institutionnels, associatifs et professionnels concernés par ce sujet.

En 2012, afin de tendre vers une coordination régionale et au-delà, le réseau WIONIS (Western Indian Ocean Network on Invasive Species) est créé. Entre 2012 et 2018, il s’appuie de manière très opérationnelle notamment sur le projet Inva’Ziles (« Etablir et tester un modèle compréhensif pour prévenir et gérer l’extension des espèces envahissantes dans les écosystèmes insulaires ») mis en œuvre par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), financé par l'Union européenne et hébergé par la Commission de l’Océan Indien (COI). Il s’agissait alors d’améliorer les systèmes de gestion des espèces envahissantes des îles, en particulier celles de l'océan Indien occidental (OIO), afin de réduire les impacts sur les communautés et la nature.

En 2017, une liste répertoriant déjà 410 Espèces Exotiques sur toute la région du sud-ouest de l’océan Indien a été publiée Cette base de données partagée apporte une connaissance fine de leur répartition (présence/absence) et précise leur statut (envahissante/non envahissante) sur chacun des territoires de la zone. Depuis, les efforts afin de parfaire ces connaissances sur chacun des territoires de la zone se poursuivent, notamment dans l’archipel des Comores où ces connaissances n’étaient encore que partielles…

Parcours d’Anziz…

Après l’obtention d’une licence en sciences du vivant de l’Université des Comores et un master en biodiversité des écosystèmes tropicaux, génie urbain et environnement à l’Université de La Réunion, Anziz Ahmed Abdou débute une thèse en décembre 2017 à l’Université de La Réunion, encadrée par Mathieu Rouget (UMR PVBMT - Cirad) et Dominique Strasberg (UMR PVBMT – Université de La Réunion).

Anziz précise que : « préparer un doctorat s’inscrit dans la continuité d’un parcours dont j’ai toujours rêvé depuis mon enfance. En effet, j’ai grandi dans un pays à forte potentialité écologique, méconnue de la communauté internationale, singulière par son insularité et sa position géostratégique, entre Madagascar et le continent africain. Effectuer une thèse est ainsi le meilleur moyen d’apporter à son pays de nouvelles connaissances et sa pierre à la construction de synergies avec les autres îles du sud-ouest de l’océan Indien, sur ce sujet à enjeu régional. »

Des enjeux environnementaux régionaux et locaux…

L’archipel des Mascareignes (Maurice, La Réunion), les Seychelles, Madagascar et l’archipel des Comores, hot-spots mondiaux de la Biodiversité, font régulièrement l’objet de programmes de recherches en biologie de conservation. Le manque de connaissances sur les Comores rend parfois difficile le déploiement d’actions communes dans ce pays en lien avec les îles voisines. Le travail d’Anziz a pour objectif de combler ce gap de connaissances.

Aux Comores, la déforestation a pris une ampleur considérable. L’agriculture et l’urbanisation en sont les causes principales, provoquant la perte d’une grande partie des milieux naturels primaires sur l’ensemble de l’archipel. Un cortège d’espèces exotiques envahissantes s’est ainsi installé dans ces milieux naturels perturbés, constituant une menace pour le maintien des derniers vestiges de forêts primaires de basse et de moyenne altitudes. Cette thèse a pour ambition de proposer des outils d’aide à la décision (relevés, listes d’espèces, analyses) afin d’orienter les actions de conservation de la flore indigène et des habitats de l’archipel.

Répertorier les espèces exotiques sur un territoire, connaitre leur statut (envahissant ou pas) en fonction du milieu où elles sont présentes, analyser les facteurs qui expliquent leurs présences sont autant d’éléments sur lesquels Anziz se penchent…

Principales questions de recherche…

Les travaux d’Anziz vont permettre de :

  • Réaliser un bilan des connaissances acquises sur les plantes invasives de l’océan Indien : Quelles sont-elles ? Comment se distribuent ces différentes espèces dans les différents pays de la région du sud-ouest de l’océan Indien ? Quelles similarités retrouve-t-on entre ces îles en termes de composition en espèces invasives ? 
  • Recenser les plantes envahissantes dans différents écosystèmes de l’île de La Grande Comore, en termes d’occurrences et de surface occupées, en terme de fréquence (occurrences/surface occupée totale), en termes de variation observée au sein d’un écosystème. La thèse s’intéresse aux facteurs biophysiques (altitude ; occupation du sol…) qui pourraient jouer sur les niveaux d’invasions en fonction des écosystèmes présents.

Enfin,

  • Etudier la prépondérance d’espèces exotiques envahissantes dans la végétation pionnière sur les coulées de lave à La Réunion et à Grande Comores, respectivement du Piton de la Fournaise et du Karthala et les facteurs qui peuvent expliquer sur une coulée du même âge les différences en fréquence et en nature des espèces présentes sont étudiés.

 Premiers résultats …

Les premiers résultats d’Anziz montrent que parmi les 410 espèces invasives des îles Sud-Ouest de l’Océan Indien, 112 espèces exotiques sont présentes dans les milieux naturels et semi-naturels des îles de l’archipel des Comores et que 111 y sont envahissantes ; 117 y sont absentes.

Psidium cattleyanum © Anziz Ahmed Abdou, Cirad

A l’échelle de la Grande Comore, 55 espèces exotiques colonisent aussi bien les habitats anthropisés que les forêts indigènes mais trois espèces sont les plus envahissantes à l’échelle de l’île. Elles s’observent sur les différents versants au vent ou sous le vent et à basse et moyenne altitudes, dans des proportions cependant différentes, plus présentes à basse altitude et déclinant fortement à partir de 700 mètres d’altitude. Ces trois espèces sont Psidium cattleianum (près de 90% d’occurrences), Clidemia hirta (près de 70% d’occurrences) et Rubus rosifolius (près de 40% d’occurrences).

Clidemia hirta medium © Anziz Ahmed Abdou, Cirad
Rubus rosifolius © Anziz Ahmed Abdou, Cirad

A une échelle régionale, Madagascar, l’archipel des Comores et La Réunion présentent de grandes similitudes dans leurs compositions en espèces exotiques envahissantes. A part Mayotte et les Seychelles présentent des profils très similaires ; idem pour Maurice et Rodrigues à part également.

La comparaison avec d’autres îles océaniques (Hawaï et d’autres îles du Pacifique) montre que les îles du sud-ouest de l’Océan Indien (à l’exception de Madagascar et Maurice), subissent des invasions plus fortes.

Les premiers éléments de comparaisons entre les coulées de lave à La Réunion et aux Comores montrent que La végétation pionnière a des caractéristiques identiques, composée d’espèces ligneuses, d’arbres et d’arbustes indigènes dont la plupart produisent déjà des fleurs et des fruits, témoignant d’une maturité avancée. L’établissement d’espèces exotiques envahissantes n’est pas encore visible mais pourrait venir modifier ces successions à terme...Bien que ces jeunes coulées soient à ce stade majoritairement dominées par des espèces indigènes, des espèces exotiques ont déjà montré leurs capacités à former des populations fortement envahissantes dans ces substrats volcaniques sur des coulées de laves plus anciennes en Indonésie, à Hawaii et à La Réunion.

Date de mise à jour : 27 mars 2023