Les ressources génétiques végétales agricoles (RGVA) dans le sud-ouest de l’océan Indien : bilan et perspectives

Date de mise à jour : 23 janvier 2024

Retours sur près de 10 ans de recherches sur les ressources génétiques végétales agricoles (RGVA) dans le sud-ouest de l’océan Indien – quel bilan et quelles perspectives aujourd’hui ? Le projet « Germination » s'engage depuis près de 10 ans dans la préservation et la valorisation de la biodiversité agricole du sud-ouest de l’océan Indien pour garantir une alimentation diversifiée et résiliente face aux défis du changement climatique et de la sécurité alimentaire. Découvrez ici comment le projet « Germination » contribue à la conservation et à la préservation des ressources génétiques végétales agricoles pour une agriculture durable dans l’océan Indien et contribue ainsi à la prévention des crises alimentaires et à l'innovation en agriculture.

Sommaire

Qu'est ce qu'une ressource génétique végétale alimentaire ?

Trois bonnes raisons de conserver ces ressources génétiques

Le projet "Germination" en actions !

Défis de la conservation

En 2015, la FAO dans sa publication « coping with climate change – the roles of genetic resources for food and agriculture » insistait sur le rôle crucial des ressources génétiques pour l'alimentation et l'agriculture dans la sécurité alimentaire, la nutrition, les moyens de subsistance et la fourniture de services environnementaux. Aujourd’hui, les ressources génétiques sont toujours des éléments clés de la durabilité, de la résilience et de l'adaptabilité des systèmes de production. Elles sous-tendent la capacité des cultures et de tout autre forme de vie (bétail, organismes aquatiques et espèces forestières) à résister à diverses conditions difficiles.

Le changement climatique pose de nouveaux défis à la gestion des ressources génétiques mondiales pour l'alimentation et l'agriculture, mais il souligne également leur importance. Cet article revient sur les initiatives locales dans le sud-ouest de l’océan Indien, à travers notamment le projet Germination, une initiative essentielle pour garantir une alimentation diversifiée et résiliente face aux défis du changement climatique et de la sécurité alimentaire.

Initié pour créer un réseau régional autour des ressources génétiques végétales agricoles, le projet Germination s'est engagé, depuis maintenant un peu moins de 10 ans, dans la préservation et la valorisation de la biodiversité agricole du sud-ouest de l’océan Indien.

Qu'est-ce qu'une ressource génétique végétale alimentaire ?

Une ressource génétique végétale alimentaire est, en termes simples, le matériel génétique d'origine végétale qui a une valeur pour l'alimentation et l'agriculture. Cela englobe tout, des variétés anciennes, parfois aujourd’hui négligées voire oubliées, aux nouvelles variétés, développées grâce à la recherche.

Le projet Germination s’intéressent aux espèces amylacées (patate douce, bananier, manioc, taro, ignames, taccas) et aux légumineuses (fèves et pois) contribuant significativement aux besoins alimentaires de base des populations rurales et urbaines. D'autres espèces, comme les Cucurbitacées (courges, chouchou, etc.), les légumes feuilles (brèdes) et autres légumes et fruits dits "lontan" sont également une source importante de minéraux et de vitamines.

Trois bonnes raisons de conserver ces ressources génétiques

Diversité biologique

La diversité génétique est un élément clé de la biodiversité. Elle se réfère à la variabilité des gènes au sein d'une espèce et est essentielle pour la survie et l'adaptation des espèces aux changements environnementaux. La diversité génétique permet aux plantes de s'adapter à différentes conditions climatiques, de résister aux maladies et aux ravageurs, et de répondre aux besoins des agriculteurs et des consommateurs. La perte de diversité génétique réduit la capacité des plantes à s'adapter et augmente le risque d'érosion génétique, ce qui peut avoir des conséquences graves pour la biodiversité et la durabilité des écosystèmes.

Sécurité alimentaire

La conservation des ressources génétiques végétales permet de garantir l'accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive pour tous. La diversité génétique est nécessaire pour développer des variétés de plantes qui peuvent résister aux changements climatiques, aux maladies et aux ravageurs. Elle est également importante pour améliorer la qualité nutritionnelle des aliments et pour répondre aux besoins des agriculteurs et des consommateurs. La perte de diversité génétique peut réduire la disponibilité et la qualité des aliments, augmenter la dépendance à l'égard de quelques cultures de base et accroître le risque de crises alimentaires.

Innovation

La recherche en génétique végétale permet de développer de nouvelles variétés de plantes qui sont plus résistantes, plus productives et plus nutritives. La diversité génétique est une source d'innovation pour les sélectionneurs de plantes, qui peuvent utiliser les ressources génétiques pour créer de nouvelles variétés adaptées aux besoins des agriculteurs et des consommateurs. La conservation des ressources génétiques végétales est donc essentielle pour soutenir l'innovation en agriculture et pour répondre aux défis de la sécurité alimentaire, de la durabilité et du changement climatique.

Le projet « Germination » en actions !

Au menu, inventaires, collectes, mises en collections in situ (sur le terrain) ou/et ex situ, descriptions morphologique et génétique, assainissement, assortis d’un renforcement des capacités des acteurs locaux à travers des formations et des missions d’expertises…

  • Pourquoi décrire ? une ressource génétique conservée en collection trouve toute sa valeur lorsqu’elle est associée à des données sur son origine, mais également à des éléments de caractérisation (morphologique et génétique) qui permettent de la comparer aux autres variétés et aux autres accessions disponibles pour l’espèce concernée ; qui permettent d’identifier des traits d’intérêt pour l'amélioration génétique de cultures, tels que la résistance aux maladies, la tolérance à la sécheresse ou la qualité nutritionnelle
  • Pourquoi assainir ? certaines cultures alimentaires font l’objet au champ de nombreux dommages causés par des virus, des bactéries et / ou des champignons, qui causent des pertes de récoltes considérables en les rendant impropres à la consommation…L'assainissement des variétés cultivées, crucial pour la sécurité alimentaire, représente un enjeu socio-économique important.

Aux Comores

L'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, la Pêche et l'Environnement (INRAPE) a effectué de nombreux travaux d'inventaire, de collecte, de conservation et de caractérisation des cultures vivrières locales. Sur l'île de Mohéli, l'INRAPE a commencé en 2019 un inventaire de légumineuses et un important travail de collecte de plusieurs espèces vivrières :  26 variétés de bananier, 7 variétés de taro, 5 variétés de manioc, 14 variétés de patate douce et 8 variétés d'igname, mises en collection sur son site du Quartier Mdé à Moroni (Grand Comore). Dès 2020, la caractérisation morphologique de patate douce, bananiers, taro et ignames a débuté.

A Maurice

Le Food and Agricultural Research & Extension Institute (FAREI) a concentré ses efforts en 2020 sur deux espèces patrimoniales : le Vanillier et le Jacquier.

En 2020, des échantillons de fruits et de feuilles de Jacquier (Artocarpus heterophyllus) ont été collectés dans six lieux de l'île (Labourdonnais fruit orchard, St Antoine, Reduit, Richelieu, Pamplemousses et Albion), et des graines ont été semées pour produire de jeunes plants. Par ailleurs, après des notations phénologiques sur les arbres, feuilles, fruits immatures et matures ont été décrits selon les standards IPGRI ; des jeunes plants mis en culture sur la Pamplemousses Organic Research station (PORS) du FAREI, dans le but d'évaluer leurs performances.

Des boutures de vanillier ont été prélevées dans trois lieux (Sebastopol, Senneville et Réduit) et ont été plantées sous ombrière à la « Reduit Crop Research Station », leurs traits morphologiques décrits selon des standards UPOV.

A Madagascar

Le Centre National de la Recherche Appliquée au Développement Rural (FOFIFA) s’intéresse à la préservation et à la valorisation notamment du taro (Colocasia esculenta), du manioc (Manihot esculenta), de l’amarante (Amaranthus sp.) et de l’arbre à pain (Artocarpus altilis).

Depuis 2019, le FOFIFA a entrepris un important travail de prospection et de collecte de ces quatre espèces. Quatre missions de prospection ont été organisées et menées dans 11 régions de l’île. Au total, 44 accessions de manioc, 41 accessions de taro, 14 accessions d'arbre à pain et 108 accessions d’amarante ont été collectées puis mis en collection ex situ.

L’ensemble du matériel végétal collecté est en cours de caractérisation, selon différents descripteurs agromorphologiques retenus lors d’études précédentes. Des échantillons de feuilles de chacune des quatre espèces ont été envoyés au Cirad à La Réunion, en vue d’une caractérisation génotypique future des collections.

Aux Seychelles

L'Agence agricole des Seychelles (SAA), intégrée au Ministère de l’Agriculture, du Changement climatique et de l’Environnement, s’intéresse dans le cadre du projet à la conservation de l'arbre à pain (Artocarpus altilis), localement connu sous le nom de « friyapen ».

Des missions de prospection ont été faites dans les îles de Mahé, de Praslin et de La Digue, où 4 619 arbres à pain ont été inventoriés dans une douzaine de districts. Les coordonnées GPS de chaque arbre ont été notées. La plupart des variétés d'arbres à pain retrouvées sur l’île étant stériles, la multiplication ne peut se faire que par multiplication végétative, par bouturage ou encore par marcottage des racines. Des boutures de racines prélevées et mises en culture ont permis de produire ainsi 200 plants d’arbres à pain, diffusés aux agriculteurs par le biais de la pépinière d’Anse Boileau. Reste à réaliser la caractérisation morphologique de ces espèces.

A La Réunion

Le Cirad travaille, plus particulièrement, à l’assainissement de variétés de manioc, originaires des Comores et de Madagascar, exposés au virus Cassava Brown Streak Virus (CBSVs) et au Cassava Mosaic Geminivirus (CMGs). Les CBSVs causent des lésions des tubercules du manioc, les rendant impropres à la consommation, tandis que les CMGs provoquent une réduction significative de la taille des tubercules, causant de lourdes pertes pour les producteurs.

Ainsi, dès 2017, six variétés de manioc provenant de Madagascar et quatre variétés provenant des Comores ont été micro-bouturées in vitro. Un assainissement par chimiothérapie a été réalisé : les vitroplants sont repiquées dans un milieu contenant de la ribavirine. Après plusieurs mois de traitement et des repiquages successifs, des tests virologiques sont réalisés régulièrement afin de s’assurer que ces vitroplants restent sains, l’objectif étant de renvoyer ces variétés saines aux pays d’origine, pour ensuite les acclimater avant leur mise au champ.

Défis de la conservation

Gardons en tête que les défis liés à la conservation des RGVA restent nombreux !

La diversité des espèces et des variétés végétales est une richesse, cette diversité en complique cependant la gestion, appelant à des modalités de conservation, de multiplication et de distribution adaptées et donc diverses à chacune d’entre elles…

Pressions climatiques et anthropiques pèsent sur cette conservation. Préserver et sauvegarder ces collections qui subissent au fil du temps ces pressions restent dans certains cas un défi, nécessitant de régénérer, de dupliquer voire de déplacer ces collections…

Moyens financiers et techniques associés à la mise en place et à l’entretien des collections de ressources biologiques, des laboratoires de culture in vitro et des banques de gènes restent, sur la durée, non négligeables. De plus, cette gestion nécessite des compétences techniques et scientifiques spécifiques qui nécessitent une mise à niveau de ces compétences régulière et un renforcement du capital humain et physique important…

La gestion du vivant est encadrée sur le plan international à savoir le protocole de Nagoya et le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l'Alimentation et l'Agriculture, adopté en 2001. Ces accords internationaux ont été mis en place pour faciliter les échanges de ressources génétiques dans un but de sécurité alimentaire. Ils prévoient également le partage des avantages liés à l'utilisation des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques, obtenus auprès de populations locales et autochtones. Il est nécessaire d’en connaitre les droits et les devoirs et de penser une législation locale adaptée.

Autant de dimensions sur lesquelles le projet Germination, qui rentre dans une nouvelle phase opérationnelle, continue à se pencher.

Auteur : Isabelle Mialet-Serra (Cirad)

Date de mise à jour : 23 janvier 2024