Déterminants de la production du manguier dans le sud-ouest de l'océan Indien

Date de mise à jour : 31 janvier 2024

A l’occasion de l’année internationale des fruits et des légumes, en 2021, la PRéRAD-OI fait un focus sur le manguier, en vous présentant un état de l'art sur ce fruitier tropical d'intérêt dans le sud-ouest de l'océan Indien et en particulier sur l'analyse des déterminants de sa production pour une conduite optimisée des vergers, sur laquelle le Cirad et ses partenaires travaillent.

Sommaire

Comprendre les relations entre croissance végétative et reproduction

Analyser les impacts de pratiques culturales (taille, densité de plantation, éclaircissage, irrigation…) sur l’élaboration du rendement et sur la qualité …

Développer un modèle structure-fonction d’élaboration du rendement et de la qualité de la mangue, V-Mango

Perspectives

Comprendre les relations entre croissance végétative et reproduction

Les interactions réciproques entre le développement végétatif, la floraison et la fructification sont apparues comme des clés pour comprendre l’élaboration du rendement du manguier. Elles sont étudiées à différentes échelles spatiales, à savoir l'unité de croissance terminale, la branche charpentière, et l'arbre entier. Elles sont également étudiées dans le temps et intègrent la comparaison de cultivars qui présentent des comportements contrastés quant à l’irrégularité interannuelle de leurs productions.

En bref…
A l’échelle de l’unité de croissance terminale, des relations négatives très marquées sont mises en évidence entre la reproduction et la croissance végétative qui suit. La fructification des unités de croissance diminue systématiquement leur probabilité de débourrement végétatif lors du cycle qui suit. Les raisons sont d’origines diverses, principalement hormonales et trophiques. En effet, les inflorescences et les fruits diffusent de l’auxine qui inhibe le démarrage végétatif de ces unités de croissance. Par ailleurs, les fruits en croissance mobilisent les réserves en amidon de l’unité de croissance qui les porte. De faibles teneurs en amidon constatées pendant et après la récolte contribuent à réduire la probabilité de débourrement végétatif et/ou à le retarder lorsqu’il a lieu. Une diminution ou un retard dans le débourrement végétatif impacte la croissance végétative, puis la floraison suivante qui sera portée par les unités de croissance mises en place. Il a ainsi été montré que le nombre de fruits produits au cycle suivant est positivement corrélé à la croissance végétative apparue. La probabilité de débourrement végétatif représente donc une étape déterminante de l’élaboration du rendement entre deux phases de reproduction.
A l’échelle de la branche charpentière, les relations négatives évoquées ci-dessus restent marquées et systématiques.
A l’échelle de l’arbre, la charge en fruits a un effet négatif marqué sur la croissance végétative qui suit la récolte.
Ces relations aux différentes échelles spatiales sont plus ou moins marquées selon la variété.  
Appliquer l’approche originale des coûts de reproduction chez les plantes, initialement développée en écologie évolutive, apparait pertinent ici. Elle s’appuie sur l'hypothèse d’une répartition harmonieuse des ressources carbonées, pendant toute la durée de vie de l’arbre, entre trois fonctions vitales que sont la croissance végétative, la reproduction et la défense/protection, et ce afin de maximiser la reproduction tout au long du cycle de vie de l’arbre. Pour le manguier, les relations négatives entre reproduction et croissance végétative sont plus ou moins marquées aux différentes échelles étudiées, probablement en lien avec des mécanismes de compensation. Ainsi, les résultats suggèrent trois mécanismes de compensation à l’échelle de l’unité de croissance : la suppression de la dominance apicale par la floraison, favorisant le débourrement de bourgeons latéraux plus nombreux; l’augmentation de la photosynthèse des feuilles proches des fruits en croissance; et des phases de croissance végétative et de reproduction décalées dans le temps, ce qui limite la compétition directe pour les ressources carbonées. A l’échelle des branches charpentières, un échange de ressources carbonées entre branches reproductrices et non-reproductrices permettrait de limiter les compétitions et d’équilibrer les ressources nutritives et carbonées nécessaires à la croissance végétative et à la reproduction à venir.
Unités de croissance manguier - stades de développement @ Alain Dambreville
Inflorescences manguier - stades de développement © Alain Dambreville

Analyser les impacts de pratiques culturales (taille, densité de plantation, éclaircissage, irrigation…) sur l’élaboration du rendement et sur la qualité …

La taille est une pratique culturale courante pour la conduite des arbres fruitiers, qui permet de contrôler les dimensions des arbres et le volume de la canopée, et de donner à cette dernière des formes particulières. Dans des vergers à haute densité de plantation où le contrôle des dimensions des arbres joue un rôle primordial, la taille est systématiquement pratiquée. Cependant, si elle n’est pas maîtrisée, elle peut engendrer des diminutions de rendement et une baisse de la qualité des fruits. Il est donc indispensable d’avoir une bonne connaissance de la réponse des arbres à la taille afin d’en maitriser les effets et de l’adapter en fonction des circonstances et de l’effet recherché.

Les pratiques de taille, étudiées depuis plus d’un siècle sur les arbres fruitiers tempérés, sont bien maitrisées. En revanche, elles n’ont été que très peu étudiées sur les fruitiers tropicaux, chez lesquels elles sont très empiriques. Chez le manguier, les effets de la taille sur la croissance végétative et la reproduction ont été étudiés, en faisant varier son intensité (biomasse retirée de l’arbre par la taille) et sa sévérité (profondeur de la taille le long de l’axe taillé).

Manguier non taillé © Séverine Persello, Cirad
Manguier faiblement taillé © Séverine Persello, Cirad
Manguier fortement taillé © Séverine Persello, Cirad
En bref…
La taille stimule la croissance végétative du manguier – une taille intense et sévère stimule la croissance végétative immédiate de l’arbre, et tend à la synchroniser. Cette réaction est à la fois locale, sur des unités de croissance taillées, et distante, sur des unités de croissance non taillées. Ainsi, la probabilité de débourrement et le nombre de nouvelles unités de croissance produites augmentent sur les unités de croissance taillées, la perte de dominance apicale stimulant la croissance de bourgeons latéraux. La perte de surface foliaire est en partie compensée par la surface foliaire des nouvelles unités de croissance filles. La probabilité de débourrement augmente aussi sur des unités de croissance non taillées, et ce d’autant plus qu’elles sont proches d’unités de croissance taillées. En revanche, la taille n’affecte pas le nombre d’unités de croissance filles de ces unités de croissance non taillées. Les effets observés de la taille sur la croissance végétative du manguier permettent d’émettre des hypothèses quant aux mécanismes sous-jacents impliqués. 
La taille perturbe la floraison du manguier - L’intensité de taille diminue le taux de floraison du manguier. Si la taille provoque une croissance végétative plus intense, elle entraine une baisse de la probabilité de floraison et du nombre d’inflorescences produites par les unités de croissance. Par ailleurs, la dynamique de floraison est bouleversée, une taille plus intense favorisant une floraison plus étalée dans le temps, sur deux flushes, et globalement plus tardive.

L’éclaircissage a un effet positif sur la qualité des fruits récoltés. L’éclaircissage pourrait donc être envisagé comme une pratique culturale permettant d’améliorer la qualité des fruits. Or pour que les arboriculteurs adoptent cette pratique culturale, sa rentabilité doit être démontrée et un accompagnement technique doit être apporté.

En bref…
L’éclaircissage, pratique culturale qui consiste à enlever des fruits sur des branches très chargées, modifie le rapport feuilles/fruits de la branche, soit le rapport sources/puits pour le carbone. Ainsi, sur des branches présentant un rapport feuilles/fruits plus élevé (assimilables à des branches éclaircies avec une charge en fruits réduite), les fruits ont une masse fraîche et une teneur en matière sèche plus élevées que ceux de branches dont le rapport feuilles/fruits est plus faible (assimilables à des branches non éclaircies avec une charge en fruits élevée). Par ailleurs la concentration en sucres solubles (ou taux de matière sèche soluble) des fruits augmente avec le rapport feuilles/fruits. Ces trois critères, masse fraîche du fruit, teneur en matière sèche, et concentration en sucres solubles, sont des critères de qualité du fruit. En effet, la masse fraîche du fruit détermine son calibre. La matière sèche de la mangue, constituée de 60% de sucres et d'acides, participe à la qualité du fruit. La capacité de conservation du fruit est corrélée à sa teneur en matière sèche. Ces trois critères de qualité augmentent avec le rapport feuilles/fruits des branches.
L’éclaircissage permet donc d’améliorer la qualité de la mangue à la récolte, qui dépend également d’autres facteurs abiotiques que sont l’environnement lumineux (qui varie avec la position de la branche et du fruit dans la canopée), la température, la disponibilité en eau…

L’irrigation est une pratique culturale importante pour le manguier, mais délicate car les apports d’eau doivent correspondre aux besoins de la plante lors des différentes phases de son cycle phénologique. Elle est pratiquée habituellement durant la croissance des mangues qui a lieu en grande partie, voire totalement, en saison sèche. Elle doit être poursuivie après la récolte pour favoriser la croissance végétative si les pluies ne sont pas établies, puis s’arrêter à la fin de la saison chaude. L’interruption de l’irrigation au début de la saison sèche provoque un stress hydrique chez le manguier, entrainant l’interruption de la croissance végétative et le début du repos végétatif. Cette période de repos végétatif est indispensable car elle permet aux unités de croissance d’acquérir leur maturité pour fleurir chez la plupart des variétés.

En bref...
Afin de mieux estimer la disponibilité en eau du sol et les besoins du manguier, un modèle de bilan hydrique pour verger de manguier a été développé. Il prend en compte les apports (pluie, irrigation) et les pertes (drainage) d’eau, les caractéristiques du sol (profondeur, réserve utile), la demande climatique (évapotranspiration de référence) et les besoins des manguiers (coefficients culturaux ajustés en fonction des caractéristiques des arbres, du verger et des conditions climatiques locales). Le modèle estime l’évolution journalière du niveau de remplissage de la réserve en eau du sol et les éventuelles pertes par drainage. Ce modèle de bilan hydrique peut être utilisé pour analyser les pratiques d’irrigation des producteurs (irrigation adaptée, en excès ou insuffisante) ou pour piloter leur irrigation en ajustant les doses apportées en fonction de la disponibilité de l’eau dans le sol et du stade phénologique des manguiers.
Ce modèle a été, en particulier, utilisé pour évaluer un mode de conduite agroécologique des vergers de manguier, intégrant l’entretien d’un enherbement vivant sur et entre les rangs de plantation tout au long de l’année. Il s’agit ainsi de favoriser le maintien et l’augmentation des populations d’auxiliaires des cultures. Cela implique une irrigation d’appoint pour l’enherbement, en particulier durant la période de repos végétatif du manguier en début de saison sèche, qui doit être une période de stress hydrique pour qu’il fleurisse ensuite. Ce mode de conduite a finalement été revu. Il augmente en effet significativement la consommation d’eau d’irrigation et perturbe la floraison des manguiers, alors plus faible et plus tardive. Il est plutôt proposé de profiter de la saison des pluies pour produire de la biomasse végétale au sol, et de ne pas la faucher avant et durant la floraison, pour maintenir un couvert végétal, même sec, qui limitera ainsi le développement des populations de cécidomyies des fleurs, principal ravageur de la floraison.

Des modes de conduite intensifs du verger de manguier, inspirés de la conduite des vergers de pommier, sont actuellement testés. Ils consistent à augmenter la densité de plantation, en diminuant les distances de plantation entre arbres. Cela implique d’adapter la conduite des arbres (dimensions et forme de la canopée) pour éviter qu’ils ne se touchent pas, tout en maintenant le potentiel de production.

Manguiers plantés à haute densité et palissés © Frédéric Normand, Cirad
Manguiers plantés à haute densité en conduite sphérique conventionnelle © Paula Ibell
En bref...
Conduit avec une équipe australienne du Queensland, un essai combinant trois variétés, trois densités de plantation, et trois modes de conduite de l’arbre (conventionnel/sphérique, en pyramide, en pyramide palissée) est actuellement mené. Les dimensions des canopées des jeunes manguiers sont semblables pour les densités de plantation faible et moyenne. Elles sont plus petites pour la densité de plantation élevée à cause de tailles commencées plus tôt sur les jeunes manguiers afin d’éviter qu’ils ne se touchent. Bien que l’augmentation de la densité de plantation diminue le volume de la canopée de chaque arbre, ce volume est plus élevé à l’échelle du verger, ce qui conduit à une meilleure utilisation de l’espace par les arbres et à une interception plus élevée de la lumière par hectare. La production par unité de surface augmente également avec la densité de plantation. L’effet de la variété sur la croissance des arbres et sur la production est très marqué, d’où l’importance confirmée d’adapter à chaque variété le mode de conduite pour une productivité optimale.

L’intensification de la conduite des vergers de manguier passe aussi par l’utilisation de porte-greffes peu vigoureux qui sont adaptés aux hautes densités de plantation. Il existe actuellement peu de connaissances à ce sujet; des travaux d’évaluation de porte-greffes sont en cours à La Réunion, en collaboration avec des équipes australiennes.

Développer un modèle structure-fonction d’élaboration du rendement et de la qualité de la mangue, V-Mango

Le modèle V-Mango, pour Virtual-Mango, permet de représenter de façon simplifiée l’élaboration du rendement et de la qualité de la mangue à l’échelle de l’arbre. Il intègre ainsi les connaissances acquises, décompose les processus observés et décrit les relations entre compartiments végétatifs et reproducteurs de ce système complexe dont le fonctionnement dépend de nombreux facteurs.

Ses objectifs sont divers. Il permet d’intégrer et de structurer la connaissance qui décrit le fonctionnement complexe du manguier, de tester différents scénarii climatiques et culturaux, et d’évaluer leurs effets sur le rendement et la qualité du fruit. Ainsi, les effets de la taille sur la croissance végétative et la floraison du manguier ont été intégrés à V-Mango.

Ce modèle est un modèle dit structure-fonction. Il tient compte des interactions mises en évidence entre l’architecture de l’arbre (la structure) et ses fonctions (développement végétatif, reproduction). Il se compose d’un modèle architectural qui décrit la structure architecturale du manguier, couplés à des modèles de croissances et de fonctionnement du manguier (développement de l’architecture, croissance des unités de croissance et des inflorescences, croissance du fruit et élaboration de sa qualité).

En bref…
La croissance végétative est simulée à l’échelle de chaque unité de croissance par trois processus stochastiques: l’occurrence du débourrement, le nombre d’unités de croissance filles qui apparaissent si elle débourre, et la date de débourrement (date d’apparition des unités de croissance filles). Si l’unité de croissance ne débourre plus au cours du cycle de production, sa floraison (occurrence, nombre d’inflorescences et date de floraison) est simulée. Puis l’occurrence de la fructification et le nombre de fruits portés sont simulés pour les unités de croissance florifères. La croissance et les différents stades phénologiques des unités de croissance et des inflorescences sont modélisés et simulés sur la base d’une échelle de temps exprimés en degrés-jours.
Tout un volet porte sur la modélisation de la croissance du fruit et de l’élaboration de sa qualité, qui est basée sur les relations hydriques et carbonées entre la branche fruitière, le fruit et le milieu extérieur. Les relations sources-puits à l’échelle de la branche fruitière sont simulées et permettent d’établir un bilan carboné. Les produits de la photosynthèse des feuilles et les réserves disponibles dans les feuilles et les tiges forment un pool de carbone qui est utilisé prioritairement pour la respiration d’entretien, mécanisme qui permet d’assurer l’entretien des structures végétales en place, puis pour la croissance en matière sèche du fruit. L’éventuel surplus de carbone est stocké dans les tiges et les feuilles. Un bilan hydrique réalisé à l’échelle du fruit permet de simuler sa croissance en matière fraîche.
Le rapport feuilles/fruits et la date de pleine floraison sont déterminés par les modèles de développement architectural et de développement des inflorescences. Un modèle d’interception de la lumière par la plante est en train d’être couplé au modèle de croissance et de développement du manguier afin de simuler la quantité de lumière reçue par chaque branche fruitière. Le modèle permet ainsi de déterminer la croissance en matière sèche et fraîche des fruits, et, à l’échelle de l’arbre, la distribution du poids individuel des fruits à maturité, la distribution des différents critères de qualité des fruits (sucres, acides…), ainsi que la distribution des dates de récolte des fruits.
Simulation d'axes à tailler sur un manguier faiblement taillé © Séverine Persello, Cirad
Simulation d'axes à tailler sur un manguier intensément taillé © Séverine Percello, Cirad

Perspectives …

Sur manguier, de nombreuses hypothèses de fonctionnement doivent encore être documentées, comme par exemple le rôle de la quantité et de la qualité de la lumière dans le débourrement végétatif ou reproducteur, ou les effets de la température et de la pluviométrie sur la phénologie végétative ou reproductrice. Par ailleurs, l’amélioration des pratiques culturales (taille, conduite intensive, effets du porte-greffe) reste un objectif de moyen et long termes pour une production accrue et régulière d’une année sur l’autre.

Les applications possibles du modèle V-Mango peuvent être diverses. Ce modèle peut être utilisé à des fins cognitives et expérimentales en permettant notamment de :

  • Tester des hypothèses de travail quant au fonctionnement du manguier en s’affranchissant d’une certaine façon de la complexité de cette plante et en confrontant les simulations obtenues à des observations et des mesures faites sur le terrain ;
  • Mieux comprendre à l’échelle de l’arbre les effets de pratiques culturales différenciées dans le but d’adapter ces pratiques et d’ajuster leurs mises en œuvre aux objectifs recherchés (par exemple : conception de stratégies de taille assistée par modèle).
  • Coupler de nouveaux modules à V-Mango. Par exemple, la simulation des différents stades phénologiques de l’inflorescence permet le couplage avec un module d’attaques de la cécidomyie des fleurs, principal ravageur des inflorescences. De même, la probabilité de piqure de la mangue par les mouches des fruits dépend de son stade de maturité qui est simulé par V-Mango.

L’approche développée sur manguier peut être étendue à d’autres fruitiers tropicaux d’importance pour certaines îles du sud-ouest de l’océan Indien et qui présentent des fonctionnements proches. On citera le cas du giroflier à Madagascar et aux Comores, culture de rente et production à haute valeur ajoutée pour ces pays, mais qui souffre d’une irrégularité de production très marquée; ou le cas du goyavier-fraise à La Réunion, Madagascar et Maurice...

Rédaction: Isabelle Mialet-Serra (Cirad); Frédéric Normand (Cirad)

Date de mise à jour : 31 janvier 2024